BRONZINO Agnolo di, Allégorie du triomphe de Vénus, vers 1545

Agnolo di BRONZINO, Allégorie du triomphe de Vénus, vers 1545, huile sur bois, 146.1 × 116.2 cm, National Gallery, Londres
Œuvre appartenant au domaine public – Photographie de Jean-Louis Mazieres (vue d’ensemble puis détails issus du recadrage de cette vue) sous licence CC BY-NC-SA 2.0
« Ce tableau […] contient un enchevêtrement de messages moraux, présentés dans une image explicitement sensuelle. Vénus, déesse de l’amour, vole une flèche dans le carquois de son fils Cupidon en l’embrassant sur les lèvres […]. Vénus tient la pomme d’or que Pâris lui a présentée comme la plus belle de toutes les déesses, et son attribut traditionnel, une paire de colombes, repose sur le sol. Cupidon est accroupi, […] et caresse le sein de Vénus, pressant son mamelon pendant qu’il lui rend son baiser, tout en essayant de lui voler la pomme d’or. Les masques aux pieds de Vénus suggèrent qu’elle et Cupidon exploitent le désir pour masquer la tromperie.
Le petit garçon souriant avec le bracelet de clochettes incarne le Plaisir insensé, qui s’apprête à couvrir le couple de pétales de roses. Il ne semble pas remarquer l’épine qui lui transperce le pied droit – le Plaisir est souvent suivi de la Douleur. Escroquerie ou Tromperie, la jolie fille qui se cache derrière Plaisir, offre un rayon de miel à Cupidon. Cependant, son corps de serpent dissimulé suggère que son offrande sucrée a littéralement un dard dans la queue. Le manteau qu’elle porte à l’épaule avec une broche est de couleurs changeantes qui ressemblent à de la soie grattée – sous un certain angle, il apparaît rose, sous un autre bleu pâle – aussi changeant et trompeur qu’elle.
À l’arrière-plan se trouve l’homme incarnant le Temps, ailé, identifié par son sablier. […] Il tient un tissu bleu avec lequel il tente de dissimuler ou de révéler cette série de tromperies. Il jette un regard vers un autre personnage à l’arrière-plan, dont la tête semble n’avoir ni dos ni contenu et qui pourrait représenter l’Oubli, qui tient également le tissu. Le Temps tente peut-être d’empêcher l’Oubli de dissimuler les actions de Vénus et de Cupidon.
Le personnage qui s’agrippe la tête derrière Cupidon a été diversement identifié comme souffrant, jaloux et syphilitique, présentant certains des symptômes de la maladie. Cependant, une référence aussi évidente à la syphilis aurait été inappropriée dans un tableau destiné au roi de France […]. Le message du tableau peut avoir trait à la beauté qui freine la passion pour nous protéger de la jalousie, de la triche et de la folie, et qui permet au temps de lutter contre l’oubli qu’entraîne la passion. Il peut également s’agir des conséquences douloureuses d’un amour sans chasteté, présidé par le plaisir et la tromperie.
Si le tableau était un cadeau diplomatique, il est également possible qu’il ait une signification politique. Un célèbre dessin représentant l’adultère de Mars et Vénus (aujourd’hui au Louvre, Paris), {…], est censé célébrer le renoncement du roi à ses ambitions guerrières en Italie. L’Allégorie de Bronzino avait peut-être une intention similaire. Certains indices laissent penser à une exécution rapide de l’œuvre, car il y a, pour ce peintre, un nombre inhabituellement élevé de cas où il a modifié les contours et procédé, en cours de réalisation, à divers repentirs. Le personnage qui s’arrache les cheveux était à l’origine plus bas, et le bras de Vénus était plus recourbé vers l’arrière pour caresser les boucles de Cupidon.
Ce type de thèmes complexes et à plusieurs niveaux se retrouve dans la poésie de l’époque, et Bronzino, comme Michel-Ange, était un poète et un peintre accompli. […] La recherche de la signification de la peinture contribue à son intérêt – un plaisir à la fois pour l’œil et pour l’intellect – une dualité souvent évoquée dans la poésie de Bronzino.
L’imagerie obscure, la conception et la finition hautement artificielles de la peinture sont caractéristiques du type d’art hautement sophistiqué et consciemment stylisé produit dans les cours européennes et les centres urbains de l’époque. En réaction contre les idéaux d’harmonie, de proportion et de naturalisme de l’art de la Haute Renaissance, l’art maniériste mettait l’accent sur la sophistication intellectuelle, l’élégance artificielle, l’artifice et l’instabilité. Bronzino et son professeur Pontormo ont adhéré à cette évolution artistique […].
L’Allégorie a une surface presque émaillée – les coups de pinceau du peintre ont été estompés pour dissimuler les moyens avec lesquels le tableau a été réalisé. L’éclairage artificiel d’une blancheur éclatante définit des membres semblables à du marbre, clairement délimités et dessinés […]. Chaque détail, animé ou inanimé, est soumis à un examen minutieux sous cette lumière implacable, ce qui crée un sentiment d’artificialité dramatiquement accru. Le tableau a la structure et la qualité d’une sculpture en bas-relief, avec de multiples figures, peu de profondeur et pas de véritable arrière-plan, ce qui confère un sentiment de condensation de l’espace. Avec sa couleur lumineuse comparable à celle d’un bijou et l’utilisation abondante du bleu outremer, fabriqué à partir d’une pierre semi-précieuse, le lapis-lazuli, l’Allégorie a l’apparence d’un objet luxueux – aussi parfait, froid et dur que la boule d’or dans la main de Vénus. »
https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/bronzino-an-allegory-with-venus-and-cupid (traduction : Clément Chervier)
« Nombreux sont les symboles dans cette magistrale composition de Bronzino ! Alors que deux colombes immaculées roucoulent tendrement aux pieds de Cupidon (qui semble bientôt les écraser), deux masques, celui d’une nymphe et d’un satyre, gisent à même le sol, à l’opposé du tableau. Leurs orbites creusées contemplent eux aussi la scène. Symboles des deux âges de la vie (l’un arbore les traits lisses et fins de la jeunesse, tandis que l’autre les creux de la vieillesse), ils renvoient également à la dissimulation et confèrent à la scène une atmosphère dramatique toute théâtrale. »
https://www.beauxarts.com/grand-format/venus-et-cupidon-de-bronzino-ou-le-triomphe-la-seduction/