PATINIR Joachim, Charon traversant le Styx, 1520-1524

Joachim PATINIR, Charon traversant le Styx ou Paysage avec la barque de Charon, ou Passage du Styx, ou Traversée du Styx, 1520-1524. huile sur bois. 64 x 103 cm. Musée national du Prado, Madrid
Œuvre appartenant au domaine public © Lluís Ribes Mateu : Photographies (entière puis quatre recadrages) sous licence CC BY-NC 2.0 DEED
« De part et d’autre d’un fleuve gris–vert, large, plutôt sombre, sont nettement situés deux territoires opposés tant spatialement que symboliquement avec, à [notre] gauche, ce qu’il est convenu d’identifier comme un paysage paradisiaque et, à [notre] droite, une figuration sinon de l’enfer même, du moins de ses abords, de ses « portes ». »
Paul Dupouey. Le temps chez Patinir, le paradoxe du paysage classique. Histoire. Université Nancy II, 2008. Français, p.290 https://theses.hal.science/tel-00467565
« L’artiste conjugue la tradition mythologique gréco-romaine, rendue célèbre par Virgile, avec l’interprétation chrétienne de l’Enfer au Moyen Âge et à la Renaissance (Dante, la Divine comédie, 1321). Il est très influencé par l’œuvre de Jérôme Bosch (le triptyque du Jardin des délices, 1500 – 1510).
Le tableau est construit sur un effet de symétrie et de contraste saisissant autour d’un axe vertical : le cours d’un fleuve (le Styx) sur lequel navigue un batelier (Charon) et d’où partent deux bras en forme de canaux latéraux. De part et d’autre : les Champs Élysées (le Paradis) et le Tartare (l’Enfer). »
« Le fameux “rocher” rappelle la description de Virgile (la barque, l’allure de Charon, son geste, etc.) :
« Un batelier effrayant surveille ces eaux et ces fleuves, couvert d’une saleté terrible à voir : c’est Charon ; une masse de poils blancs mal entretenus couvrent son menton, des flammes brillent dans ses yeux au regard fixe, un manteau crasseux, attaché par un nœud, lui tombe des épaules. Il pousse lui-même sa barque avec une perche, il manœuvre les voiles et il fait traverser les corps dans son embarcation couleur de rouille ; il est bien vieux déjà, mais c’est un vieux toujours vert, avec la vigueur d’un dieu. » (Énéide, livre VI, vers 298-304, traduction A. C.)
À l’avant, un personnage miniature, nu, maigrelet et pâlot : une âme, la tête tournée vers la partie droite du tableau. Charon l’emmène au point où elle doit choisir entre les deux rives ; on remarque que l’eau du Styx devient beaucoup plus sombre. »
« Le grand personnage debout dans cette barque est Charon, […] généralement présenté sous les traits d’un vieillard morose et sinistre. Sa tâche consiste à faire traverser le fleuve Styx, aux âmes des défunts qui ont reçu une sépulture. En paiement, Charon prend une pièce de monnaie placée dans la bouche des cadavres. [… ]. Bien que la scène ait lieu après la mort physique de la personne, l’âme, […] est taraudée par le choix entre le Paradis et l’Enfer. »
https://artkarel.com/patinir-invention-paysage/
« Le tableau de Patinir offre un mélange de réel et de symbolique qu’il faut savoir décoder : le paysage invite à une méditation sur le sens de la vie et sur la mort ainsi que sur la notion de choix entre deux voies (bivium), celle du Mal qui conduit en Enfer et celle du Bien qui mène au salut. »
« […]un regard attentif sur la partie inférieure du tableau, nous fait découvrir une contradiction, […]. Si l’enfer est à [notre] droite (on y voit Cerbère, le chien à trois têtes qui garde la porte de l’enfer), la porte d’entrée en semble facile d’accès et des arbres splendides y parsèment de belles pelouses. A [notre] gauche, se trouve le Paradis. Un ange tente d’ailleurs d’attirer l’attention de l’âme dans la barque, mais celle-ci semble beaucoup plus attirée par un enfer d’apparence si accueillante. De plus, le chemin peu éclairé qui mène au paradis semble périlleux par la présence de rochers, de marais et autres obstacles dangereux. Une fois de plus, ce sont nos sens qui risquent de nous conduire à faire un choix littéralement infernal. Le sujet du tableau est donc clairement celui du bivium, le choix binaire qui se pose à la croisée des chemins et offre au spectateur pèlerin le choix entre la voie du vice et celle du salut. » Karel Vereycken
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Ressources :
Autre reproduction complète de l’oeuvre et analyse (en espagnol) :
Analyse de l’oeuvre :