BAYARD Hippolyte, Autoportrait en noyé

Hippolyte Bayard, Le Noyé ; Autoportrait en noyé, positif direct sur papier, 18,8 x 19,2 cm, octobre 1840, coll. SFP.
Texte manuscrit daté du 18 octobre 1840, signé HB, au dos de l’Autoportrait en noyé, 1840, coll. SFP.
© Hippolyte Bayard © gunthert : captation photographique 1 et 2 sous licence creative communs CC BY-NC 2.0
Bayard exprime dans son œuvre Autoportrait en noyé son désespoir à travers une mise en scène impliquant une élaboration et une anticipation de sa prise photographique. Nous pouvons comprendre cette œuvre comme une critique de la société et plus particulièrement du pouvoir politique. Elle constitue ainsi une forme de protestation artistique, dans laquelle l’artiste se présente en martyr.
Clément Chervier (texte sous licence CC BY NC), 2025
Texte inscrit au dos de la photographie :
«Le cadavre du Monsieur que vous voyez ci-derrière est celui de M. Bayard, inventeur du procédé dont vous venez de voir, ou dont vous allez voir les merveilleux résultats. À ma connaissance, il y a à peu près trois ans que cet ingénieux et infatigable chercheur s’occupait de perfectionner son invention. L’Académie, le Roi et tous ceux qui ont vu ses dessins que lui trouvait imparfaits, les ont admirés comme vous les admirez en ce moment. Cela lui a fait beaucoup d’honneur et ne lui a pas valu un liard. Le gouvernement, qui avait beaucoup trop donné à M. Daguerre, a dit ne pouvoir rien faire pour M. Bayard et le malheureux s’est noyé. Oh! Instabilité des choses humaines! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui pendant longtemps et aujourd’hui qu’il y a plusieurs jours qu’il est exposé à la morgue, personne ne l’a encore reconnu, ni réclamé. Messieurs et Dames, passons à d’autres, de crainte que votre odorat ne soit affecté, car la tête du Monsieur et ses mains commencent à pourrir, comme vous pouvez le remarquer.» Hippolyte Bayard
Citations :
« En se photographiant en noyé, Bayard fixe son image d’inventeur maudit. Mais d’un autre côté, il inaugure son œuvre de photographe primitif. Il s’agit en effet de la première mise en scène avec personnage de l’histoire de la photographie. Avec cet autoportrait morbide, Bayard n’est plus dans l’expérimentation d’un procédé mais dans la production d’une œuvre. »
Anne de MONDENARD, « BAYARD HIPPOLYTE – (1801-1887) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 17 février 2023. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/hippolyte-bayard/
« L’idée de se photographier en cadavre, dans la position allongée, permet de mettre en valeur son procédé, qui nécessite une demi-heure de pose, durant laquelle il ne devait pas bouger sous peine d’être flou. L’image de ce féru d’art et bon dessinateur renvoie évidemment à la peinture religieuse, mais également, par la posture abandonnée du cadavre exalté par la blancheur du linge, au Marat assassiné de David. Bayard démontre ainsi que la photographie n’est pas un simple outil d’enregistrement du réel, comme on le pense alors, mais qu’elle produit une réalité propre. Une fiction au même titre que la peinture. » Luc Desbenoit
https://www.telerama.fr/scenes/avec-hippolyte-bayard-la-photographie-devint-fiction,71516.php
« Hippolyte Bayard réalisait ainsi la toute première fiction photographique, où le réalisme du procédé sert à accréditer un récit fictif. »
https://www.centrepompidou.fr/media/document/80/89/808954419eeec736656674e101d6e069/normal.pdf
« Si la posture alanguie du supposé cadavre n’est pas sans évoquer celle du Christ de la Descente du Croix ou le Marat de David, la présence du chapeau de paille nous renvoie à une tout autre tradition iconographique, celle du berger endormi.
L’artiste utilise ici la photographie non pour reproduire le réel mais bien pour construire une image symbolique, une fiction personnelle. »
Pour aller plus loin :
Article sur les autoportraits de Bayard : http://histoirevisuelle.fr/cv/icones/2865/
Podcast :
Emission consacrée à l’histoire de la photographie (avec Michel Poivert, professeur d’histoire de la photo). Passage consacrée à cette photographie de Bayard à partir de 14’42 (mise en scène, fiction, autoportrait…) :
Problématiques
En quoi la mise en scène du corps reflète-t-elle l’intériorité de l’artiste ?
Comment la représentation du corps dans l’espace peut-elle induire une fiction ?
Comment une photographie peut-elle mettre en scène un événement fictionnel ?
En quoi une œuvre peut-elle associer une dimension autobiographique et une part de fiction ?
En quoi une œuvre peut-elle associer la réalité et la fiction ?