CALLE Sophie, L’Ours, 2017

Sophie CALLE, L’, 2017, .

© Sophie CALLE © P’Tille (, licence CC BY-SA 2.0)

de la partie droite du :

« Sous ce drap, il y a le nounours . Au début il me faisait , mais je me suis approchée et j’ai fini par m’habituer. Il y a de la gentillesse dans son . On dirait une immense . Tous les dix jours, avec une petite éponge, je lui nettoie les ongles et la . C’est le seul que je caresse. Sous ce drap, il y a un grand d’Alaska de plus de 2,70 mètres, imposant mais attachant, avec de grosses pattes et des griffes toujours actives, mais des accueillants dans lesquels on a envie de se lover. Sa force, c’est sa taille, mais c’est un comme un autre, plus ou moins vu qu’il ne bouge plus, mais plus qu’une commode. Dessous il y a un naturalisé debout, fixé au sol, un poil plus que , des pattes griffues qui font penser à des , dressé sur ses membres postérieurs, légèrement penché, une très anthropomorphique. En plus il est souriant, et le n’est pas le propre de la bête ! Il a même l’air de rire. Mais il ne fait pas rire, ce n’est pas un de , on n’a pas envie de l’humilier. C’est une star. Tout le monde veut être photographié avec lui. Avec la mode du selfie, un visiteur sur deux à ses côtés. C’est le plus humain de nos animaux. Sous ce drap, il y a un sympathique, pas un . Je n’ai pas de sentiments pour les animaux empaillés. L’ du , je n’ai pas le de l’observer. Je fais mon taf. On me dit de le bouger, je le bouge, on me dit de le démonter, je le démonte. Il est lourd et ses griffes blessent. Ici, ça nous arrive de nous faire agresser par des animaux morts. Sous ce drap, je pense que c’est un . Un qui, comme un humain, arrive à se tenir sur deux pattes, il me semble, joli, mais je ne le croise jamais vu que je suis au service financier. Que vous dire de plus ? Il serait plutôt du genre . Il vous regarde sans vous regarder, et nous, on le voit mais on ne le regarde pas. L’ de la face d’un ? Je serais bien incapable de la décrire… Un sympathique avec des petits yeux rieurs, un bon . Il évoque la , la douceur, la sécurité. J’observe cette chose de 2,50 mètres et je revois mon doudou. Son poil est soyeux, fourni, mis à part quelques usures au niveau du nez. Posé à même le sol, impressionnant par sa taille mais pas l’air méchant. tendus, il vous propose de venir vous blottir contre lui. Sous ce drap, son côté anthropomorphique est encore accentué. Comme il n’a pas une grande carrure, ça devient une de géant. Comme pour les êtres aimés, je le vois plus que je ne le regarde. Il est là, tellement là, tellement présent, tellement visible, qu’on ne le voit pas… Je ressens pour lui fascination et répulsion, je le crains sans le craindre. Il continue à faire mais il est fragile. Un ambassadeur pacifique du monde sauvage. Entre et frousse, entre enfance et âge adulte. Une assez neutre, ni sympathique ni terrifiante. Les pattes sont griffues, mais les poils rassurants. Un qu’on imagine tout seul sur sa banquise. Aujourd’hui plus menacé que menaçant. Je préfère ne pas savoir comment il a été tué et je n’aime pas l’imaginer sous ce drap, c’est comme s’il mourait deux fois. Il était là avant moi, il m’attendait. Quand je suis arrivé en 1996, il était derrière une , dans la salle du colt de David Crockett. Il semble maintenant assez content d’être parmi les oiseaux, et comme il est très avenant, les visiteurs sont attirés par lui. Dans la il fait , ici la question ne se pas. Toute sorte de est édulcorée. C’est un vieil habitant du , celui avec lequel on se fait prendre en photo. Il établit un avec l’ enfantin. Quand je le contemple, je vois toujours un , mais sous ce drap il meurt, il redevient un . C’est comme si on fermait les portes du , comme dans une abandonnée après les vacances, quand on recouvre les meubles et qu’on la met en attente… Sous ce drap, il y a, je présume, un , puisqu’on est quand même dans un de la Chasse… Des narines apparaissent. On devine un museau, une allongée. Les proportions sont impressionnantes, j’imagine un dressé sur ses pattes arrière… Maintenant que vous me dites que c’est un , je vois plutôt un , vu que les sont en de disparaître avec la banquise qui fond. Mais un qui ne ferait pas . C’est un d’Alaska, chassé en 1965 par un Américain qui l’a gardé deux ans avec lui avant de l’offrir au . Il est arrivé le 1er juillet 1967. Il fait 2,45 mètres et près de cents kilos. L’ours sait qu’il n’a pas de prédateur, il chasse seulement quand il a faim, d’où une sûreté de soi. Je retrouve cette sagesse dans son . Il domine. C’est lui qui nous reçoit. Je l’ai appelé Victor, comme ça, au , hop, Victor, vingt ans que je le connais, le seul auquel je parle. Sous ce drap, c’est l’ours. Inutile de lui donner un nom. Comme dans les familles aristocratiques quand il n’y a qu’une seule fille et qu’on l’appelle Mademoiselle sans préciser le prénom. Je l’appelle l’ours , point. C’est le personnage principal du qui est là-dessous. Les gens parlent de lui plus que des autres. Il prend beaucoup de place dans tous les sens du terme. Il est sous ma et sa popularité me donne de l’importance. Chez nous, on recouvre les morts avec un drap … Si notre ours nous quittait, ce serait une perte douloureuse. Sous ce drap, il y a l’âme du . Un doudou plutôt qu’une bête sauvage. Un ours, on en a tous eu un sur son lit. C’est le confident des moments difficiles. Dans mon pays, les femmes portent, le jour du , un voile qui les cache intégralement. Alors, il me fait penser à une mariée. Un peu grande… C’est notre mascotte. Sous ce drap, il a un côté monastique. Pudeur, blancheur et . Le du . »

Pour aller plus loin :

Dossier de presse de l’ : https://www.chassenature.org/storage/614/DP-SCSC-CHASSE_NATURE-WEB.pdf

avec Sonia Voss, commissaire de l’ « Beau doublé, Monsieur le marquis ! » (Sophie Calle, et son invitée Serena Carone) au de la Chasse et de la en 2018 :